Une journée dans l’école anarchiste Paideia

Alors que la fin des cours sera célébrée dans quelques jours par les universitaires suisses, à l’autre bout de l’Europe, les élèves de l’école Padeia abordent la période estivale sous un autre angle.

L’école se trouve dans un corps de ferme en Espagne, dans la ville de Merdia. Depuis sa création en 1978, cette école résiste encore et toujours aux dogmes de la société actuelle en proposant une alternative à l’éducation traditionnelle étatique. Cette école anarchiste est le fruit des réflexions de trois femmes qui voulaient transmettre et surtout pratiquer les sept valeurs dérivées de l’anarchisme : l’égalité, la justice, la solidarité, la liberté, la non-violence, la culture et surtout le bonheur. Venez donc faire un tour dans cette école qui accueille des enfants de 18 mois à 15 ans et cela depuis plus de 30 ans !

Un bus « ramasse » les enfants et les amène à l’école entre 9h30 et 10h. Pendant une heure, ils vont faire du « travail collectif » : certains vont ranger les classes, d’autres balayer dans les moindres recoins, etc. Pendant ce temps, un groupe de cuisine s’occupe de faire à manger pour la soixantaine d’enfants qui sont inscrits à l’école. Ces enfants entre 5 et 15 ans ont un adulte auprès d’eux en cas de questions et demandes de conseils lors de la préparation quotidienne, mais aussi lors de la prise de décisions, tous les vendredis, des menus de la semaine.

A 11 heures, tout le monde prend son petit-déjeuner puis 30 minutes plus tard débute le premier atelier (comprenez une sorte de cours) ou en cas de besoin, une assemblée.

Les assemblées sont les éléments centraux de Paideia puisque c’est là que se prennent toutes les décisions. Elles rassemblent les adultes et les enfants qui discutent de l’organisation des menus, de résolutions de conflit, etc.

Une réunion à Paideia
Une réunion à Paideia

Il existe également des assemblées générales où l’on fait un bilan du trimestre écoulé, où l’on choisit des nouvelles disciplines et où interviennent des commissions qui transmettent leurs analyses à l’assemblée.

Les commissions, composées de deux à quatre enfants, changent de membres toutes les deux semaines. Il existe, par exemple, une commission d’enfants qui sont les « trouveurs de solution » ; ceux-ci doivent être sur le qui-vive pour repérer les problèmes et conflits. S’ils n’arrivent pas à trouver une solution sur le champ, ils convoquent une assemblée. Il y a aussi une commission qui observe le fonctionnent du bus de ramassage, une sur le matériel pédagogique ou encore une qui évalue la manière dont les valeurs anarchistes sont mises en pratique. Ainsi, les maîtres mots de l’école sont donc l’expérimentation perpétuelle et la remise en question constante.

Il faut également noter que les assemblées générales sont régies par quelques règles comme le fait que personne n’a le droit de sortir sans demander au préalable l’autorisation, car les entrées et sorties désorganisent les réunions. Cette règle d’organisation a été prise très au sérieux par les enfants il y a quelques années, lorsqu’une adulte est partie, contrariée et sans autorisation, de l’assemblée. Dans un élan de solidarité, les autres adultes ont fait de même laissant les enfants. Ces derniers ont alors décidé de sanctionner les adultes en les excluant de l’école. Mis à part le dialogue, l’exclusion est une des formes de punition de l’école. Les enfants se sont donc retrouvés à diriger eux-mêmes l’école, les grands aidant encore plus les petits. Au bout d’une semaine, les jeunes ont remarqué que la charge de travail était trop grande et ont demandé, après en avoir discuté entre eux, aux adultes de revenir. Ces derniers, qui étaient néanmoins présents à l’école lors de cette période d’autogestion totale, ont accepté de revenir.

Après cette parenthèse qui montre bien la philosophie de l’école (basée notamment sur l’égalité entre les adultes et les enfants, mais également le gain d’autonomie et la pratique de l’autogestion), revenons au programme de la journée.

Après l’assemblée et un peu de temps libre, il est temps de manger. Les plus petits mettent la table et mangent entre eux. Ils sont suivis plus tard par les enfants plus âgés et les adultes. À 16 heures commence l’atelier pour les groupes d’élèves de tous âges. Il dure environ 1h30 et le schéma du professeur qui parle devant des élèves alignés n’est pas appliqué. A Paideia, les bureaux sont disposés en cercle et les enfants évoluent à leur rythme. Un enfant qui préfère jouer peut le faire, tant qu’il est dans une autre pièce pour ne pas déranger les enfants qui ont décidé d’avancer dans leurs matières.

Le succès reconnu de l’école Paideia

Selon les chiffres officiels, les enfants qui ont été à Paideia réussissent mieux leur bac que les enfants placés à l’école publique. À entendre ça, on se demande tout de suite comment cela peut être possible avec des enfants qui ne sont pas obligés de travailler.

Les raisons sont multiples. Tout d’abord, il y a un esprit de famille plus que d’école qui rassemble les élèves. En effet, il n’est pas rare de croiser des anciens élèves, terminant leur scolarité à l’école publique, qui viennent voir leurs amis. Il y a également des élèves encore plus anciens qui reviennent pour s’investir dans l’école et perpétuer les bons souvenirs qu’ils ont eus étant enfants.

De plus, les enfants ne sont pas notés, mais ils doivent néanmoins s’impliquer dans leurs études. Pour cela, chaque élève signe des « feuilles d’engagements »personnels qu’ils ont décidé de prendre et une date à laquelle ils promettent de les avoir atteints. Cela va de la qualité des projets à la façon dont ils ont rempli leurs cahiers d’exercices ainsi qu’à la manière dont ils pratiquent les valeurs anarchistes. À la fin du trimestre, une assemblée générale évalue collectivement les engagements de chacun. Ils doivent aussi tous participer à la Prueba Larga (le grand test) qui est une évaluation en tête à tête avec un éducateur. Elle n’a rien à voir avec nos tests cantonaux de 5 et 6ème dont certains se souviennent peut-être. Ici, l’éducateur fait un retour à l’enfant de tout ce qu’il a observé au cours du trimestre. Cela va de la coordination motrice, à la manière dont l’enfant se comporte aux assemblées, en passant par son rapport à la nourriture, sa diction, son talent artistique, ses qualités relationnelles, sa maîtrise de l’histoire ou son rapport au corps. Tous ces éléments sont consignés dans un tableau « psycho-pédagogique », un des nombreux documents, rapports et traces écrites qui forment la méthodologie pédagogique de Paideia.

Finalement, l’ambiance amicale et d’entraide qui règne dans l’école encourage l’enfant qui joue seul dans son coin à rejoindre ses camarades pour travailler.

Revenons encore une fois à la « journée type » de l’école, qui touche à sa fin.

À 18 heures, les enfants repartent chez eux. Les plus grands, qui se préparent à passer à l’école publique, restent un peu plus tard pour travailler le programme et augmentent ainsi les meilleurs résultats de Paideia. Les adultes restent également le soir pour terminer des affaires administratives ou juste discuter et socialiser.

Paideia n’est jamais à l’abri de l’influence de « l’extérieur », c’est-à-dire de l’individualisme, de l’esprit de compétition et de l’acceptation de l’autorité hiérarchique qu’elle considère comme les valeurs à enrayer de la société. Pour s’en protéger, elle impose parfois, surtout lors de rentrées scolaires, un Mandado. C’est un état d’exception où les adultes donnent les directives. Cet état est soulevé dès que les enfants le décident et se considèrent comme étant capables de prendre des initiatives.

Dans cette période de bouleversements, l’expérience de Paideia, bien qu’ancrée dans un contexte idéologique précis (l’anarchisme), doit attiser notre curiosité et susciter notre intérêt, car elle propose un modèle éducatif alternatif au système traditionnel tout en pouvant s’y intégrer.

L’article a été publié sur le site de Fréquence Banane le 29 mai 2013.